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Assemblée nationale et Sénat au Gabon, des outils clientélistes au service du « roi »

Assemblée nationale et Sénat au Gabon, des outils clientélistes au service du « roi »
Assemblée nationale et Sénat au Gabon, des outils clientélistes au service du « roi » © 2020 D.R./Info241

La dépénalisation de l’homosexualité au Gabon, votée par les deux chambres du parlement, continue de faire parler d’elle. Pour Francky-Thiburse Mapenda, doctorant en sociologie de l’Etat à l’Université Omar Bongo de Libreville, sénateurs et députés en se pliant à la volonté du « roi » de l’exécutif ont clairement montré le « caractère assujettissant » de leurs fonctions supposées au service du plus grand nombre, vertement opposé à cette initiative. L’auteur n’hésite pas à évoquer « l’impact du néo-patrimonialisme sur la démocratie au Gabon altérant de ce fait l’autonomie de ces institutions ». Lecture.

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Je me saisis de l’actualité brulante de l’heure relative au vote sur la dépénalisation de l’homosexualité voté par les deux chambres du parlement en versant au débat le caractère assujettissant des parlementaires gabonais. Cette analyse vise à montrer brièvement l’impact du néo-patrimonialisme sur la démocratie au Gabon altérant de ce fait l’autonomie de ces institutions.

Des contre-pouvoirs sous le joug de la présidence

Rappelant à toute fin utile que la démocratie n’émerge pas par hasard mais en fonction d’un système politique existant dans un pays, ce système module les « institutions  » et l’ensemble des normes juridiques (relatives à la régulation du jeu politique) en vigueur dans le pays. Bon nombre d’observateur de la vie politique gabonaise s’accorde à dire que le Gabon est soumis au système présidentiel. Il convient toutefois de souligner que ce type de système contribue fortement à la limitation de l’indépendance des branches judiciaire et législative.

En effet, les multiples modifications constitutionnelles qu’a connu le Gabon après la constitution de 1991 accrut le « présidentialisme » de façon flagrante. Ce qui consacre davantage le président comme personnage ultime du pays, omniprésent dans les processus législatif et judiciaire. Ainsi, le présidentialisme combiné au clientélisme porte gravement atteinte à l’autonomie des parlementaires gabonais, surtout ceux issus du parti au pouvoir, comme ce fût le cas avec le récent vote sur la dépénalisation de l’homosexualité qui est au fondement de la présente réflexion.

L’Assemblée nationale et le Sénat : une autonomie « brimée  » ?

Dans un système politique, qu’il soit parlementaire ou présidentiel, le parlement joue un rôle démocratique clé car étant censé représenter le peuple qui l’a élu. Ainsi, dans l’exercice de ses fonctions, il est important qu’il ait une certaine autonomie vis-à-vis d’autres corps politiques notamment l’exécutif. Force est de constater que l’assemblée nationale gabonaise semble déroger à la règle.

Les députés gabonais contrairement aux sénateurs sont élus au suffrage universel direct. En principe, la chambre basse doit avoir davantage d’autonomie puisqu’elle n’est pas redevable au président mais au peuple gabonais qui en élit les membres. Mais cette institution formelle est étouffée par des normes informelles qui contribuent à sa vassalisation. Les phénomènes du clientélisme semblent y être beaucoup plus prononcés. Ce qui nous fait dire que les événements politiques et juridiques ayant eu lieu récemment ont conduit les parlementaires à une forme de renonciation « néfastes » pour la démocratie. Cette renonciation n’est que la résultante des effets du néo-patrimonialisme sur la démocratie.

L’existence des logiques patrimoniales au sein de l’A.N nous permet de mieux saisir les agissements des députés gabonais. Comme toute institution informelle, les pratiques néo-patrimoniales sont caractérisées par leur résistance face au changement et possèdent un grand habilité de survie. La logique néo-patrimoniale est si tenace qu’elle devient une manière de penser et s’installe dans l’imaginaire de ceux qui sont censés représenter le peuple. C’est pourquoi certains députés préfèrent amender une législation proposée par l’exécutif, au lieu de la rejeter, afin de ne pas être perçus comme attaquant le président de la République. La figure du chef distributeur de ressources, qu’il faut éviter de mécontenter, est bien ancrée dans la mémoire du député gabonais. Ce dernier subit ainsi l’apprentissage des règles néo-patrimoniales dans un contexte « d’institutionnalisation informelle ».

Le Sénat gabonais, quant à lui, est considéré par bon nombre d’observateur de la vie politique gabonaise comme un instrument clientéliste répondant promptement à la logique de partage institutionnel du pouvoir, très connu sous le vocable de « géopolitique gabonaise », initié sous le règne d’Omar Bongo. Cette institution, souvent décriée par certains hommes politiques gabonais souffre, de ce fait, d’un manque de légitimité populaire ayant un impact non négligeable sur la séparation des pouvoirs. En fait, on est en présence d’une institution formelle parasitée, elle aussi, de toutes parts par des pratiques informelles néo-patrimoniales. Étant une institution d’abord et avant tout motivée par le clientélisme, le sénat gabonais est sous l’influence constante du président de la République. Le sénat gabonais est donc un instrument qui a été clairement créé pour satisfaire à la règle informelle du clientélisme.

Il convient de souligner, en guise de conclusion, que l’existence des pratiques néo-patrimoniales au sein des deux chambres du parlement ébranle considérablement l’autonomie des parlementaires et, par conséquent, affecte finalement le fonctionnement de la démocratie au Gabon. C’est ainsi que les députés et les sénateurs gabonais n’ont pas l’autonomie nécessaire dans l’exercice de leur fonction. Ils subissent tous les effets de la personnalisation du pouvoir du chef de l’État qui les contrôlent par l’intermédiaire du clientélisme.

Francky-Thiburse MAPENDA
Doctorant en sociologie de l’Etat, du pouvoir et des institutions (U.O.B)

@info241.com
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