Harris Ovone Moulengui, haut cadre gabonais à la SNCF : « Donner le meilleur de soi-même pour réussir dans des voies imprévues »

Malgré ses nombreuses occupations, la rédaction d’Info241 a rencontré pour vous dans le sud de la France Harris Ovone Moulengui, Directeur régional TGV pour la région PACA. Ce compatriote au parcours professionnel élogieux au sein du géant français et mondial du ferroviaire, partage ses perspectives pour le développement du Gabon. Avec une carrière marquée par des responsabilités majeures à la SNCF, Harris met en lumière l’importance de l’éducation, de la formation et de l’engagement de la diaspora gabonaise dans la reconstruction et le progrès de leur pays natal. Dans cette interview, il aborde également les défis et opportunités pour le Gabon à l’ère de la Ve République, offrant un message d’espoir et d’action pour les jeunes Gabonais. Lecture.

Info241 : Harris Ovone Moulengui bonjour et merci de répondre aux questions de la rédaction d’Info241. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Harris Ovone Moulengui : Je suis Harris Ovone Moulengui, Directeur régional TGV pour la région PACA, Provence-Alpes-Côte d’Azur, avec des gares comme Marseille, Nice, Cannes, Antibes, Toulon, Aix-en-Provence. Je pilote avec mes équipes de près de 1700 personnes les Services et la Production du TGV.
Dans son cadre de travail
C’est un poste très important à la SNCF car je suis Directeur produit et j’ai beaucoup de personnel en management, à la fois dans la partie non visible du client. Il s’agit de toute la partie préparation technique des TGV qui vont à Paris, à Genève, à Lyon, à Francfort, à Bruxelles, partout en Europe. Et la partie visible avec les équipes qui sont à l’accueil embarquement, dans les espaces de vente, les boutiques, la partie bord avec les contrôleurs et les conducteurs du TGV. Voilà un peu tout ce que je pilote avec bien sûr des ressources en appui que j’ai, responsable RH, responsable Finances, le responsable sécurité, le responsable qualité/services et les managers d’équipe. Donc pas mal de management dans ma direction.
Sinon mon historique est assez simple, je suis gabonais, j’ai fait mes études au Gabon, notamment au collège Bessieux à Libreville. Je suis venu en France après mon baccalauréat en 2005 et j’ai fait des études en finance jusqu’à mon master. J’ai eu l’opportunité, en étant membre du « Cercle des Leaders » de l’université Aix Marseille, d’intégrer la SNCF en alternance lors de mon année de master. Cela s’est très bien passé, et ils m’ont fait une proposition d’embauche. La surprise c’est que l’entreprise me formerait aux métiers du transport ferroviaire que j’ignorais.
Je souhaite à travers mon exemple, toujours inspirer les générations les plus jeunes et leur donner toujours envie de se dépenser, d’apprendre, de découvrir, de questionner leurs aînés. Car on est tous passés par là, par cette phase d’incertitude où on s’est dit : « on fait des études pour faire X ou Y métiers », mais au final les études nous poussent parfois à faire autre chose ou la carrière professionnelle. Et se dire qu’on peut toujours donner le meilleur de soi-même et réussir parfois dans des voies qui n’ont pas été prédestinées.
Info241 : Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel, en particulier de vos rôles chez SNCF Voyageurs SA et de vos responsabilités en tant que dirigeant senior et junior en unité de production ?
Harris Ovone Moulengui : J’ai été embauché à la SNCF et j’ai pu intégrer la formation pour apprendre les systèmes d’exploitation ferroviaire. Donc comment on fait circuler un train, les règles de sécurité, les règles commerciales, les règles de production, toutes ces choses. C’était édifiant ! J’ai appris, j’ai été envoyé ensuite en Suisse à Genève pour représenter la SNCF auprès de l’entreprise ferroviaire suisse CFF. Ensuite j’ai été à Marseille pour occuper un poste de manager production. Après ce poste de manager production, j’ai été le référent des managers Production. Après ce poste de référent manager, j’ai pris le poste de responsable projet industriel. Et mon dernier poste, c’est celui actuel où je suis directeur Produit pour TGV sur la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et je suis basé à Marseille.
Un manager aguerri
Mon rôle en tant que dirigeant junior à la SNCF, c’était d’encadrer une équipe de 35 personnes dans une gare où il y avait la partie vente de billets, préparation et formation technique des trains. Donc un package assez complet où on a en pilotage le bâtiment voyageur, donc la gare, le management de l’équipe d’exploitation et les relations institutionnelles avec la mairie, avec la préfecture et d’autres entités. Cela m’a permis de développer de nouvelles compétences. C’était le bon complément avec mon poste précédent à Genève.
Pour la partie senior, j’ai simplement encadré et piloté des managers junior, j’en encadrais 6 si je ne me trompe pas. Donc 6 qui encadraient eux-mêmes une trentaine d’agents, donc à peu près 180 agents sous ma coupe sur les missions plus ou moins similaires que celles que je vous ai énoncées tout à l’heure. Et ce qui était très intéressant, c’était la relation humaine, les relations avec les organisations représentatives du personnel, donc les syndicats. Le dialogue social est très important dans notre entreprise. La SNCF est une des entreprises où il y a le plus de jours de grèves en Europe. Grâce à ma délégation de pouvoir je recevais régulièrement par les syndicats, nous échangions sur les évolutions d’organisation des métiers au sein de la structure SNCF Voyageurs.
Parfois il y a eu des grèves malgré les négociations, mais on a aussi réussi à désamorcer des grèves, on a aussi réussi à mettre en place un développement de carrière professionnelle. On a réussi à améliorer la qualité de vie au travail, à mettre en place des innovations dans les services et également pour nos clients. Donc beaucoup de réussite mais aussi beaucoup d’échecs et c’est comme ça qu’on apprend.
Info241 : Quelles compétences avez-vous acquises au cours de ces expériences qui pourraient être bénéfiques pour le Gabon ?
Harris Ovone Moulengui : Les compétences que j’ai acquises qui pourraient servir au Gabon, elles sont assez simples. Je suis cadre transports de mouvement. C’est-à-dire que j’ai le grade le plus haut de l’exploitation ferroviaire, pour faire simple. Le monde du ferroviaire c’est comme à l’armée. Nous avons des grades en exploitation. Cela peut commencer par un agent de mouvement (AMV). L’AMV est un agent d’exécution, il va faire circuler les trains par les postes de circulation, les réguler etc. Il va aussi faire des opérations de formation de trains, d’essais de freins, voire vendre des billets.
Engagé pour le continent
Ensuite on va avoir toute la partie encadrement opérationnel. Donc là on passe sur un agent qui a un grade de TTMV, c’est un agent de maîtrise de transport de mouvement, c’est un technicien. Et ensuite on va avoir le CTMV, le cadre de transport de mouvement, ce que je suis. Mon poste de manager senior avait les même prérogatives que le Directeur du trafic a la SETRAG.
J’ai également développé des compétences dans le transport mobilité grâce à la SNCF car nous ne nous limitons pas uniquement au transport ferroviaire. Nous sommes un transporteur multimodale. J’ai une expertise sur le transport routier, urbain et ferroviaire. Je peux accompagner mon pays dans ces domaines. Dans le monde en général, le défi de la mobilité comme vecteur de croissance a été bien pris en compte. Nous ne devons pas passer à côté.
Info241 : Comment votre expérience à l’étranger a-t-elle influencé votre vision pour le développement du Gabon ?
Harris Ovone Moulengui : Au Gabon, nous avons plusieurs types de transports : maritimes et fluviales, routiers, ferroviaires et aériens. L’idée serait de developer ses transports de manière à optimiser la mobilité des biens et des personnes. Je ne vais pas détailler le plan de mobilité national ici, mais nous devons connecter les transports en fonction de nos besoins sur les trajets principaux. Les transports de masse comme le train ou le bus doivent être connectés entre eux par exemple. Cela permettra de réduire le nombre de véhicules individuels qui engorgent les villes, les polluent et créent des embouteillages sur les axes principaux. Nous avons aussi l’option d’agrandir ou multiplier les routes secondaires afin qu’elles soient en périphéries et permettent de réduire la pression sur les axes principaux. Je vous dis cela avec les informations que j’ai mais une étude approfondie avec les parties prenantes doit être effectuée pour mettre en œuvre un plan fiable et réalisable.
Sur la partie ferroviaire, nous avons une seule ligne Owendo-franceville avec une voie unique. Nous avons généralement du transport de marchandises et quelques trains de voyageurs. La SETRAG est une belle entreprise. Comilog et Eramet jouent un rôle prépondérant dans son fonctionnement. Il y a des améliorations de performance que l’on peut obtenir pour la voie mais cela coûte extrêmement. Cependant, les bailleurs de fonds africains et internationaux sont prêts financer des projets d’infrastructures si nous sommes capables de leur montrer que nous souhaitons Décarboner nos transports, favoriser la transition énergétique et écologique dans notre production.
Après, humblement, je ne suis pas à la place de ceux qui dirigent, mais je sais que je suis toujours disponible quand on me sollicite pour conseiller ou pour accompagner. En tant que gabonais, je suis quelqu’un d’assez disponible sur ces questions-là.
Info241 : Quels sont les principaux défis auxquels la diaspora gabonaise est confrontée et comment pouvez-vous contribuer à les surmonter ?
Harris Ovone Moulengui : il y a quelques années, la plupart des gabonais rentraient au Gabon après leurs études. Aujourd’hui, les Gabonais restent souvent à l’étranger parce que la diaspora n’a pas forcément les opportunités qu’elle peut avoir ici, en Occident, dans notre propre pays. C’est fort dommage parce que ça permet de changer les mentalités, d’apporter d’autres méthodes pour améliorer notre façon de travailler. Les japonais après la seconde guerre mondiale, ont émigrés aux USA pour faire du benchmark et ensuite développer leur propre industrie sur la base de ce qu’ils avait vu ailleurs. Nous pouvons participer à ce changement. Le Gabon regorgent de beaucoup de talents dans la diaspora et j’en connais.
Info241 : Comment percevez-vous la vision de la Ve République prônée par le nouveau président Brice Clotaire Oligui Nguema ?
Harris Ovone Moulengui : La Ve République, je l’approuve. J’ai voté pour cette constitutions je veux des institutions fortes, importantes. Par contre ce sont les hommes qui sont ceux qui la mettent en œuvre. Mais avec le Président que nous avons, et l’équipe gouvernementale qu’il a mise en place, je suis assez serein parce qu’il y tient, il l’a voulu. Maintenant il y est.
Les Gabonais de la diaspora, comme nous, doivent venir en appui pour contribuer dans ce projet que porte le président Brice Clotaire Oligui Nguema, tout simplement. Pour ma part, j’ai un collègue qui est au même grade, à la même fonction que moi, un Sénégalais. Quand Bassirou Diomaye Faye a été élu président, il a été nommé en mai 2024 DG de la société nationale de chemin de fer au Sénégal, la SENTER, Cheikh Ndiaye.
Son pays l’a rappelé, parce qu’ils avaient besoin de lui, pour pouvoir contribuer aux avancées attendues par le gouvernement en place et dirigé par Ousmane SONKO. Me concernant, si le Gabon m’appelle pour participer, je me rendrai disponible dans la mesure du possible, en fonction du projet qui me sera proposé, parce que c’est bien l’objectif. On ne dit pas « oui », non plus pour dire oui, on dit « oui » parce qu’on se sent utile dans un projet. Voilà un peu ma vision des choses.
Info241 : Quels sont les domaines prioritaires pour la reconstruction du Gabon selon vous ?
Harris Ovone Moulengui : À mon humble avis, le domaine prioritaire pour améliorer, la condition du Gabon, c’est tout simplement revenir aux fondamentaux. C’est-à-dire les besoins primaires. Les besoins primaires, ça va être quoi ? Ça va être l’eau, l’électricité, l’éducation et la formation, la culture, et le sport. Pourquoi je dis ça ? Parce qu’en fait, une fois qu’on a atteint les objectifs fondamentaux, ensuite, toute la partie formation, culture, voire performance avec le sport, apporte une vision.
Il faut que le Gabon, comme j’ai pu le connaître dans ma jeunesse, ou peut-être même comme le président Oligui Nguema a pu le connaître, retrouve un bon système scolaire et éducatif. Tout cela avec un bon système universitaire. Nous avons réussi à sortir des personnes avec des têtes bien faites et de très bonnes valeurs. Ce sont ces personnes-là qui ont dirigé le pays pendant longtemps et qui nous ont mis dans les meilleures conditions, nous, les plus jeunes, pour pouvoir être dans la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui.
Pour mes parents, ça a été le cas. Mes parents, mon père est entrepreneur, ma mère est administrateur de santé. Et ce sont des personnes qui ont fait toutes leurs études au Gabon et qui ont réussi à bâtir leur vie grâce à ça. Et c’est ce qu’on doit pour nos jeunes aujourd’hui. Il faut qu’ils puissent bâtir à travers l’éducation dans notre pays pour pouvoir demain dire je suis Gabonais, voilà mon identité et voilà où je veux aller.
Info241 : Quels sont vos projets à venir pour contribuer à la reconstruction et au développement du Gabon ?
Harris Ovone Moulengui : Alors côté projets, il y en a quelques-uns que j’ai déjà eu à mener par le passé ou que je mène actuellement avec d’autres frères Gabonais qui sont là-bas ou dans la diaspora et qui, demain j’espère, porteront leurs fruits. Ils sont à la fois dans le domaine de la mobilité et de la transition énergétique et écologique.
On a aussi d’autres projets qui sont purement liés à la technologie. Donc pas mal de choses qui sont faites. Je ne vais pas forcément en parler, c’est assez confidentiel, mais nous menons des projets sur fond propre dans notre pays pour essayer d’améliorer la qualité de vie des Gabonais et leur quotidien.
Info241 : Comment votre formation en Master Banque et Finance et en Licence Économie Gestion vous a-t-elle préparé à vos rôles actuels et futurs ?
Harris Ovone Moulengui : Ce qui était très intéressant, c’est que c’est un master qui m’a permis d’intégrer un monde professionnel très rapidement. En première année de Master, j’ai même pu travailler au Gabon, à la direction financière de Gabon Poste. Et quand je fais mon master 2 à la SNCF, c’est une alternance en finance sur un projet de 2 millions d’euros que je pilote. Donc j’ai pu rencontrer des dirigeants, voyager, j’ai pu avoir beaucoup de responsabilités. Tout cela a été extrêmement formateurs.
Info241 : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes Gabonais en termes d’éducation et de développement de carrière ?
Harris Ovone Moulengui : Ce que je peux leur conseiller, c’est de ne pas hésiter à rentrer dans le monde professionnel, à faire des stages. Solliciter des entreprises, n’hésitez pas parfois à ne pas être rémunéré pour acquérir de l’expérience professionnelle, parce que l’expérience professionnelle, c’est la valeur ajoutée.
Dans le monde de l’entreprise, ce dont on a besoin, ce n’est pas d’un diplôme seulement, mais c’est de l’expérience. L’expérience, c’est ce qui crée la valeur. Voilà, c’est ce qui permet d’être fiable, c’est ce qui permet d’être performant. Voilà ce que moi, je peux donner comme conseil aux plus jeunes.
Nous ne pouvons pas faire de hautes études, mais avons tous des capacités. Nous devons tous utiliser ce capital-là, plus l’environnement que nous avons, pour donner le meilleur de nous-mêmes, parce que c’est en donnant le meilleur de nous-mêmes qu’on arrive à faire les plus belles choses. Si nous rêvons petit, nous ferons de petites choses. Si nous rêvons grand, nous ferons toujours plus grand que si nous rêvons petit.
Info241 : Quel message aimeriez-vous transmettre à la jeunesse gabonaise et à la diaspora gabonaise en général ?
Harris Ovone Moulengui : Tout d’abord merci encore à Info241 pour cette interview. Merci de faire ce que vous faites, de permettre aux plus jeunes et aux plus anciens aussi d’être informés, de savoir ce qui se passe au Gabon et ailleurs, de nous tendre le micro également pour qu’on puisse apporter notre pierre à l’édifice. Et on compte sur vous pour continuer à le faire.
Pour mon message de fin, je dirais simplement que je suis un Gabonais qui aime son pays et qui ne souhaite que le meilleur à son pays. Il est entre de bonnes mains aujourd’hui, mais on peut encore accompagner avec nos compétences, notre expérience, notre réseau, notre pays pour que la Ve République soit une réussite de tous les Gabonais. Peu importe leur classe sociale, peu importe leur lieu de vie, peu importe leur situation géographique. C’est très important qu’on se dise Gabon d’abord. Et si le Gabon réussit, c’est tout le monde qui va en bénéficier. Merci beaucoup.
Propos recueillis par Cédrin Mounziégou
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